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Morn Meslien

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Schizoanalyse, psychothérapie institutionnelle et philosophie 🦕 Instagram : @MornMeslien


Vol au-dessus du nid de la psychophobie

Publié par Morn Meslien sur 26 Janvier 2024, 15:25pm

Catégories : #psychophobie, #sanism, #Philosophie, #Politique, #Communisme

La psychophobie – essai théorico-politique sur une oppression invisibilisée.

 

Penser les oppressions de manière systémique, structurale est une approche découlant des mouvements anti-racistes américains, et tout particulièrement des milieux afro-américains. Selon cette approche, le racisme serait bien plus qu’une simple idéologie ou qu’un ensemble de comportements individuels déviants. Il s’agirait en réalité d’une construction sociale, s’appuyant sur le concept de race, structurant de part en part la société et ayant des incidences directes sur les sujets dominés. Pour comprendre ses incidences, il suffit de penser aux nombreuses discriminations que subissent les personnes racisées, et ce dans n’importe quel domaine de leur vie – travail, logement, rapport aux forces de l’ordre, etc. Le racisme systémique n’aurait ainsi pas seulement un effet sur les individus, mais sur les institutions, les entreprises, l’État, etc. Une oppression systémique renvoie directement au système, à savoir qu’elle est maintenue par le pouvoir et s’inscrit dans n’importe quel rapport inter-individuel, socio-économique, etc.

Se poser la question de savoir si la psychophobie est une oppression systémique dans nos sociétés occidentales, c’est essayer de comprendre la domination que les neurodivergent.e.s subissent de la part des neurotypiques. (Par simplicité de lecture j’inclurais dans neurodivergence les troubles psychiques, mais aussi le handicap mental ou les phénomènes comportementaux spécifiques.) Il s’agit d’une question politique s’inscrivant dans le sillon d’une intersectionnalité des luttes. Les neurodivergent.e.s sont trop souvent oublié.e.s ou écarté.e.s des différentes luttes, un tas de clichés les dépeignant comme imprévisibles, dangereux.ses, faibles, peu dignes de confiance, etc. Iels sont mis.es à part, comme si iels n’étaient pas dignes d’être des militant.e.s. Cette mise à l’écart à l’intérieur de la sphère militante n’est en réalité que le reflet de ce qui est à l’œuvre à un niveau sociétal.

La psychophobie c’est aussi la question de la maîtrise des corps fous, à travers la médication à outrance, l’enfermement forcé ou encore la contention. La psychophobie ce n’est pas simplement traiter quelqu’un de « fou » ou de « schizophrène », c’est un système qui cherche à contrôler, à invisibiliser la vie des neurodivergent.e.s.

La psychophobie c’est un système invisibilisé car rares sont les personnes psy valides qui accordent une importance à la parole des neurodivergent.e.s, qui sont prêt à se battre pour la défendre, la faire entendre sans parler à leur place ; et nombreux.ses sont les neurodivergent.e.s qui ont internalisé cette discrimination, la perpétue et en joue. Se battre pour la reconnaissance et la protection des droits des personnes neurodivergentes semble hors de propos, dangereux. Toujours cette même ritournelle. Qu’on pense aux multiples diagnostics planant au-dessus de tueurs.ses, aux films nous montrant des soit-disant schizophrènes tuer sous l’influence de leur double personnalité, etc. Pourquoi se battre pour le droit de personnes qui présenteraient un tel danger ? La psychophobie c’est la déshumanisation des neurodivergent.e.s, l’instrumentalisation de leurs symptômes en vue de perpétuer la peur et l’ostracisation de celleux qui osent diverger de la norme – lutter contre c’est se confronter à un système violent visant à leur exclusion pour des raisons économiques.

 

La psychophobie est une discrimination à l’encontre des personnes souffrants de troubles psychiques ou ayant une condition mentale différent de la norme. C’est un ensemble d’oppressions touchant ces mêmes personnes et visant à les dominer tout en les invisibilisant. La psychophobie peut prendre des visages très différents : cela peut aller de l’insulte « fou » ou « autiste », au refus d’embaucher une personne neurodivergente, à la peur assumée de certains troubles. La psychophobie est ubiquiste, banalisée – elle passe inaperçu. A la différence du racisme ou du sexisme, nombreux.ses sont celleux, y compris parmi les professionnel.le.s de santé, qui ne connaissent pas le seul nom de cette oppression. Combien de fois, lorsque j’ai pu parler de psychophobie, des gens ont pu me rire au nez, me disant qu’il fallait arrêter d’inventer des combats non-avenus ou encore que, les fou.lle.s étant dangereux.ses, les oppressions qu’iels pouvaient subir étaient aussi là pour nous protéger ? N’avez-vous jamais entendu, en parlant de la contention, qu’il s’agissait de la seule solution envisageable ? Les neurodivergent.e.s souffrent d’une image de personnes dangereux.ses (un peu pour elles-mêmes, surtout pour les autres selon ce cliché) et sont déshumanisé.e.s (que l’on pense à la représentation que les gens peuvent avoir des autistes ou des schizophrènes). Il va sans dire que ce cliché est faux, mais surtout dangereux car il conduit à l’exclusion des personnes neurodivergentes.

En dérogeant de la norme, celles-ci sont perçues comme autres, étranges, altérité radicale. Or, comme l’établi Canguilhem, la norme est un ensemble de « constantes déterminées par des moyennes » (Canguilhem, 2013, p.98). La norme n’inclut pas toutes les possibilités et rejette de ce fait une partie du fonctionnement de l’espèce. Chez l’être humain, la norme renvoie ici à ce qui est appelé la santé mentale : elle ostracise de ce fait la neurodivergence qui est considérée comme déficience. Les neurodivergent.e.s relèvent de ce que Canguilhem nomme l’anomal, à savoir qu’iels s’éloignent par leur fonctionnement de la majorité des autres êtres de leur espèce (Ibid., p.109). Cependant, l’anomal ne doit pas être considéré comme anormal, mais comme « ce qui est un autre normal » (Ibid., p.177). L’anomal c’est ce qui permet de parler « des hommes normatifs, des hommes pour qui il est normal de faire craquer les normes et d’en instituer de nouvelles. » (Ibid., p.140) Rejeter les neurodivergent.e.s, les traiter comme une altérité radicale plongeant ses racines dans l’étrangeté, est donc un non-sens car ce sont elleux qui créent la norme à laquelle les psy valides ne cessent de se référer pour les exclure.

Si aujourd’hui les neurodivergent.e.s sont enfermé.e.s et exclu.e.s, il n’en a pas toujours été ainsi en Occident. Comme le démontre Foucault, avant le XVIIe siècle, les neurodivergent.e.s sont poussé.e.s sur les chemins, ce sont des vagabond.e.s. Il existait pour elleux des « lieux de détention » (Foucault, 1961, p.20) dont iels étaient libres de sortir. Leur enfermement n’a alors rien de systématique. C’est au XVIIe siècle, avec le début du capitalisme, que les neurodivergent.e.s (et les chômeur.se.s) vont commencer à être enfermé.e.s : « ce n’est plus parce que le fou vient d’un autre ciel, celui de l’insensé, et qu’il en porte les signes ; c’est qu’il franchit de lui-même les frontières de l’ordre bourgeois, et s’aliène hors des limites sacrées de son éthique. » (Ibid., p.74) En effet, les neurodivergent.e.s, en plus de différer de la norme de manière inquiétante, sont dans l’incapacité de travailler. En les enfermant, on ne cherche pas tant à apaiser leurs symptômes qu’à guérir leur incapacité à travailler. Les neurodivergent.e.s (et celleux que l’on souhaitait écarter pour des raisons morales, mais je laisserais cela de côté) se sont alors vu être coupé.e.s du monde extérieur, et c’est là qu’a pu se cristalliser ce que Foucault a nommé la grande peur : la folie est devenue fantasme sous-terrain, obscurcie par les murs de l’institution, où raison et déraison « se mêlaient et se confondaient. » (Ibid., p.212-213)

La peur des neurodivergent.e.s est née de leur enfermement qui a favorisé la perpétuation de légendes les concernant. Les non-psychiatrisé.e.s ont commencé à avoir peur d’elleux, se racontant les pires histoires à leur propos. Les neurodivergent.e.s sont devenu.e.s des personnes dépossédées de raison et agissant uniquement sous le spectre de la folie. S’iels sont enfermé.e.s c’est donc pour une bonne raison : protéger les braves gens. Que l’on ne me dise pas qu’il s’agit d’une tare du XIXe siècle : il suffit de regarder le numéro de Marianne « Les fous sont dans la rue : 40 ans d’abandon de la psychiatrie » sorti suite à l’affaire Lola. Le titre, sous-entendant que la place des fou.lle.s est à l’hôpital, permet de faire régner un climat de terreur en présentant les fou.lle.s comme de potentiel.le.s tueur.se.s. Le spectre de la folie fait vendre de par son sensationnalisme : présenter les personnes atteintes de troubles psychiques comme des individus instables, prêts à tuer car aveuglés par la folie, fascine. On pourrait évoquer une soit-disante ignorance de la part de ces personnes, mais j’en doute. Il suffit de penser au nombre de livres ou d’associations voulant ou prétendant pouvoir « guérir » l’autisme. On y reviendra, mais une telle prétention, de la part de personnes un minimum renseignées sur le sujet, montre bien que l’on est purement et simplement dans une volonté eugéniste : l’existence des personnes autistes, tout comme celle des personnes neurodivergentes, ne vaudrait pas la peine d’être vécue. Nous ne sommes donc pas seulement dans le cadre d’une pauvre ignorance, mais bien dans celui d’une discrimination oppressive.

La psychophobie ne saurait être réduite à une simple peur basée sur des clichés. Elle s’inscrit dans un système de domination politico-socio-économique. La neurodivergence n’a certes pas attendu le capitalisme pour exister, mais le capitalisme a changé le rapport aux neurodivergent.e.s. Foucault dans L’histoire de la folie soulignait très justement la fonction de contrôle et de réadaptation forcée au travail incarnée par l’hôpital psychiatrique. Les fols se sont vu.e.s coupé.e.s de la vie commune et quotidienne dont iels n’étaient plus jugé.e.s dignes de par leur incapacité à travailler. De cette coupure est née un ensemble de fantasmes concernant la figure de ces êtres qui ne pouvaient plus jouir de leur liberté. Enfermé.e.s comme des criminel.le.s, maltraité.e.s dans le secret de l’asile, la figure des fols fait peur. Elle laisse planer le présage de ce qui arrive à ceux qui sont dans l’incapacité ou le refus de travailler. Les fols ne sont pas seulement des marginaux.les, ce sont des personnes dangereuses qu’il faut rééduquer. Par fols on entend ici toute personne neurodivergente, le capitalisme ne faisant pas preuve de finesse d’analyse. La psychophobie permet aussi de maintenir l’ordre avec l’idée que si l’on y déroge, c’est que l’on a un quelconque trouble qu’il s’agit de guérir au plus vite : marginalité et problèmes psychiques sont très souvent liés, nombreux.ses sont les opposant.e.s politiques qui ont pu être enfermé.e.s dans des hospices. La psychophobie est un projet politique qui vise à renforcer le mode de production capitaliste en agitant l’étendard de l’incapacité de travailler comme un symptôme annonciateur de catastrophe psychique. La lumière est alors portée sur le rare cas de personne souffrant de trouble(s) psychique(s) ayant agressé un.e inconnu.e ou, pire, un.e pauvre membre du personnel soignant. Les faits divers regorgent de fols. Ce qui n’est jamais dit, c’est l’accueil et les soins qui leur ont été ou non prodigués. Ce qui n’est jamais dit, c’est la maltraitance qu’iels ont pu subir. Ce qui n’est jamais dit, c’est l’expérience de la souffrance et du rejet. Ce qui n’est jamais dit c’est la solitude, l’exclusion. Parler de psychophobie, ce doit être parler politique : il ne s’agit pas d’une simple peur mais bien d’un fantasme construit pour renforcer le contrôle exercé par le mode de production.

Le sujet fou est conçu dans les société occidentales actuelles comme une altérité radicale. Il est l’Autre, celui qu’on ne peut rejoindre. On le voit évoluer de manière inquiétante et les fantasmes qui l’entourent sont omniprésents. Les fols et neurodivergent.e.s ne peuvent échapper aux conséquences de ces fantasmes sur leur vie. On peut aisément affirmer que la psychophobie est systémique : lorsqu’une personne est perçue comme divergente psychiquement, elle est rejetée, discriminée. Les personnes atteintes de troubles psychiques les cachent. Parce qu’elles ont peur. Car elles savent qu’elles ne seront pas acceptées avec leur trouble. Parce que, dès qu’elles s’ouvrent sur ce sujet, un rapport de pouvoir va se mettre en place. Rapport de pouvoir qui ne va pas nécessairement se manifester par un rejet pur et simple, mais qui peut aussi se mettre en place de manière insidieuse, paternaliste. On fait comprendre à la personne qu’on la tolère, mais qu’elle est un poids et que de ce fait elle doit être reconnaissante. Y compris lorsqu’on la maltraite. Parler à une personne atteinte de troubles psychiques, lorsqu’on ne l’est pas, c’est devoir nécessairement comprendre qu’un rapport de pouvoir s’instaure si l’on n’y prête attention. C’est devoir comprendre que ces personnes n’ont pas toujours les mêmes besoins, ressources. Cela ne doit pas signifier qu’il faut paternaliser ou traiter autrement les personnes atteintes de troubles psychiques. Il suffit de prêter attention aux interactions et aux rapports de pouvoir qui peuvent s’y installer, y compris malgré nous, pour ouvrir un nouvel espace où les besoins de chacun.e sont respectés et pris en compte. Il s’agit simplement de faire attention aux autres en fonction de leur individualité. Les troubles psychiques ne définissent pas entièrement la personnalité, mais ils sont cruciaux dans cette définition. Lorsque l’on vit une telle expérience le rapport au monde, à la souffrance, à soi, est nécessairement bouleversé. Lorsque l’on vit des discriminations, l’on peut sans prêter attention s’y habituer, l’accepter, et ne plus se révolter lorsqu’on y est confronté. Et lorsqu’on est de l’autre côté de l’oppression on peut aisément la perpétuer, surtout si l’on n’est pas averti de son existence.

Lorsqu’il m’arrive de parler de psychophobie à la fac ou avec des soignant.e.s, celleux-ci me regardent avec des yeux interloqués. Non seulement iels n’ont jamais eu connaissance du terme, mais en plus il ne leur est en général jamais venu à l’idée que les personnes neurodivergentes puissent subir un quelconque système de domination. Je ne vais pas rentrer ici dans les problématiques budgétaires : oui, les structures publiques de soin manquent de moyens, oui les soignant.e.s sont surmené.e.s, oui il n’y a pas de solution idéale et je ne la possède pas, mais non, la maltraitance n’est et ne sera jamais tolérable ou acceptable. Si en tant que soignant.e l’on n’ose pas se dresser contre la maltraitance institutionnelle ou celle exercée par ses collègues, l’on est complice. Cela n’est pas simple, cela isole. Mais la justification et la perpétuation de la maltraitance envers les personnes neurodivergentes dans les lieux qui sont censés les aider doit être combattue, immédiatement.

Le problème, c’est que nombreux.ses sont les soignant.e.s psychophobes. Il suffit d’écouter des psy parler de leurs patient.e.s pour s’en rendre compte. Même si on peut parler de stratégie de défense pour se prémunir contre la réalité du métier, il est impératif de cesser d’invisibiliser là où se situe la réelle souffrance : du côté des patient.e.s. Vous êtes mal à l’aise à l’idée d’attacher un.e patient.e en chambre d’isolement ? Tant mieux, il n’y a rien de plus normal. Par contre, pour lae patient.e attaché.e il lui faudra sûrement des années pour se remettre de ce traumatisme, si iel y arrive. Le personnel soignant véhicule sans cesse son lot de propos et d’actes psychophobes qui ruine des vies. Iels n’en ont souvent pas conscience du fait du degré de déshumanisation qui a pu être atteint. Aucune formation n’est faite sur le respect de la personne neurodivergente, sur le danger des rapports de pouvoir. Lorsqu’un fait de maltraitance éclate il est quasiment systématiquement masqué ou toute la communauté soignante s’étonne en disant que personne n’avait rien vu venir. Il est plus que temps et urgent de réfléchir à nos propres pratiques, et ce même dans ce qu’elles peuvent avoir de plus désagréable afin que maltraitance et domination cessent d’être la norme.

La psychophobie se manifeste de diverses manières, mais toutes ses formes ont un impact sur la santé mentale et physique des neurodivergent.e.s. Notre langage lui-même est déformé par cette discrimination : la plupart des mots désignant des troubles peuvent être ou ont été utilisés comme des insultes (« fou », « autiste », « schizophrène », « bipolaire », « borderline », etc.). La psychophobie s’incarne aussi dans les représentations que l’on a des troubles dans la pop culture : que l’on pense au film Split où un homme souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI) enlève trois adolescents, ou à Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory. Ces personnages, soit fortement stéréotypés, soit démontrant une ignorance totale du sujet, sont dénoncés par les communautés concernées – mais on les écoute souvent à peine.

La psychophobie c’est aussi avoir du mal à trouver du travail. En effet, « [s]elon une étude menée en Grande-Bretagne en 1998, 58 % des employeurs avaient affirmé qu’ils ne confieraient jamais un poste de cadre à une personne ayant reçu un diagnostic de dépression. Sur un échantillon d’entreprises américaines sélectionnées au hasard en 1999, 70 % des employeurs déclaraient qu’ils ne seraient pas à l’aise pour engager des personnes prenant des antipsychotiques, 44 % seraient gênés par des antécédents dépressifs » (Leboyer & Llorca, 2018, pp.109-110) On peut se dire que cette étude date quelque peu, mais je n’en ai pas trouvé de plus récente et elle démontre bien l’étendu de la psychophobie : les gens sont capables de déclarer ouvertement qu’iels ne travailleraient pas avec des neurodivergent.e.s à cause de leur neurodivergence. La psychophobie n’est donc pas perçue comme une discrimination dont il faudrait avoir un peu honte ; elle est assumée au nom d’une soit-disant exigence de rentabilité mais aussi de sécurité. La psychophobie au travail s’exprime aussi dans le rapport aux collègues : « 35 % [des Français] seraient gênés de travailler et 30 % de partager un repas avec une personne atteinte de troubles psychiatriques. » Être gêné.e de partager un repas cela démontre bien l’image que les gens ont en tête des neurodivergent.e.s : des personnes anormales, dérangeantes, incapables de raisonner ou de se tenir le temps d’un repas. La psychophobie a des conséquences bien trop réelle sur la santé mentale des personnes atteintes de troubles psychiques. En ce qui la schizophrénie, « 40 % des personnes qui en sont atteintes tentent de se suicider et 10 % de toutes les personnes atteintes mettent fin à leurs jours. » (Leboyer & Llorca, 2018, p.27) Les personnes folles meurent en général 10 à 25 ans plus tôt que les personnes non-neurodivergentes, et le suicide n’est pas la première cause (https://commedesfous.com/esperance-de-vie/). La première cause renvoie à des difficultés à prendre soin de soi. Les fols sont délaissé.e.s, n’ont pas accès au soin.

La psychophobie c’est aussi se voir imposer des soins dont on ne veut pas, c’est se voir contraindre, et le tout parce que les fous n’auraient pas conscience de leur folie et que seul.e.s les non-neurodivergent.e.s pourraient savoir ce qui est bon pour elleux. Et qu’on ne dise pas que le non-consentement est une pratique d’un autre temps : cela est au contraire en pleine expansion. Ainsi, « [e)n 2015, 92 000 personnes ont reçu des soins sans leur consentement, soit 12 000 personnes de plus qu’en 2012. » (Leboyer & Llorca, 2018, p.230) – il serait intéressant de trouver des chiffres post-covid. Lorsque l’on parle de violation du consentement des neurodivergent.e.s, l’on pense nécessairement à la contention. Les contentions sont justifiées comme étant pour le bien des patient.e.s mais sont en réalité utilisées souvent par commodité (Charissa, 2016), par manque de formations des soignant.e.s (Perez, Rojo & Beneyto, 2018) et sont souvent vécues de manière traumatisante par les concerné.e.s (Charissa, 2016). La psychophobie n’est pas juste une discrimination, c’est un enfermement des corps, une violation du consentement, une privation institutionnelle de liberté. La psychophobie se présente donc bien comme systématique, insinuant tous les aspects de la vie des concerné.e.s à de nombreuses échelles.

La psychophobie ne se manifeste pas que de la part des psy valides, elle est aussi malheureusement intériorisée par les neurodivergent.e.s. Il suffit de voir le nombre de personnes refuser d’utiliser le terme « fou » comme s’il s’agissait d’une insulte ou encore le nombre de neurodivergent.e.s ayant honte de leur(s) trouble(s). J’ai pu observer en institution le rejet total du terme « handicapé » de la part de personnes en situation de handicap mental, et ce au prétexte qu’il serait honteux d’être handicapé. La psychophobie croise ici le validisme, c’est-à-dire la discrimination des personnes handicapées. Le fou, l’handicapé, c’est l’autre, mais ça ne saurait en aucun cas être moi. La psychophobie peut d’autant plus être intériorisée que l’on en parle pas – ou plutôt on refuse d’écouter celleux qui osent lutter contre. Nombreux.ses sont les neurodivergent.e.s qui n’ont même pas les clés pour se battre – parce que la lutte anti-psychophobie est muselée, parce qu’iels sont enfermé.e.s, parce que le matériel de lutte n’est pas adapté à elleux, etc. Les neurodivergent.e.s n’ont pas ou presque pas de modèle positif en ce qui concerne leur(s) trouble(s). Je vous mets au défi de me trouver cinq personnes connues psychotiques en l’espace d’une minute. Ou de trouver de réelles représentations de troubles à la télévision ou dans des séries. Entre fou romantisé, autisme petit génie insupportable ou schizophrène tueur à personnalité multiple, difficile de ne pas s’auto-stigmatiser. Lorsque les seules représentations d’un trouble qui structure votre vie sont aussi catastrophiques, comment ne pas penser que l’on ne vaut pas soit-même grand-chose ? Lorsque son existence est niée, invisibilisée, comment ne pas développer une mauvaise estime de soi ? La psychophobie ne se vit pas que depuis l’extérieur mais elle s’incarne aussi à l’intérieur de chaque neurodivergent.e qui doit apprendre à se battre contre elle afin de réaffirmer sa propre existence.

Les neurodivergent.e.s apprennent très tôt à masquer leurs symptômes car ceux-ci, en plus de les trahir, sont perçus comme gênants, honteux. Il faut à tout prix s’adapter à la société – paraître normal. Mais le masking a un coût. Cacher ses symptômes, ses traits, être dans la maîtrise perpétuel de soi, de ce que l’on renvoie, ne peut que finir par causer des dégâts. Renoncer aux accommodations qui essentielles au bien-être, et ce pour une apparence sociale douloureuse, est insupportable sur le long terme. Le masking conduit inévitablement à un mal-être voire à une décompensation pure et simple – mais y renoncer est complexe. Dans une société psychophobe, la moindre manifestation de divergence psychique est traquée et réprimée : le masking est quasiment une obligation. Pour la sécurité et pour tenter de s’intégrer. Une personne autiste qui a besoin de se retrouver seule régulièrement est perçue comme asociale. Justifier ce besoin par son trouble à l’ensemble de ses collègues c’est se retrouver confronté.e à l’incompréhension, la discrimination. Reste le masque : se forcer à manger avec les autres le midi et s’écrouler en rentrant. Mais on aura donné le change. La psychophobie finit par structurer les personnes neurodivergentes dans le moindre aspect de leur vie, elle la détermine en les laissant dans l’incapacité de se concentrer sur leur bien-être au profit d’une traque sociétale contre l’anomalité psychique.

 

La psychophobie est une oppression systémique ayant des conséquences ravageuses pour les neurodivergent.e.s. Discriminé.e.s, enfermé.e.s, maltraité.e.s, traité.e.s comme des parias dans les sociétés occidentales, celleux-ci sont bien trop souvent oublié.e.s des luttes. Même quand celles-ci se disent intersectionnelles il leur arrive bien trop souvent de ne pas prendre en compte les besoins et difficultés des neurodivergent.e.s. Quant au domaine du soin, commenter l’étendu de son retard n’est plus à faire – il est plus que temps que les soignant.e.s s’intéressent à la parole des survivant.e.s de la psychiatrie. Que l’on se contente de regarder les conditions d’accueil de certains hôpitaux psychiatriques ou bien la psychophobie perpétuée par l’ensemble du corps médical. Dans tous les domaines sociaux les neurodivergent.e.s rencontrent des obstacles, des discriminations. Les neurodivergent.e.s sont poussé.e.s à masquer leurs symptômes, dissimuler qui iels sont. Être découvert.e peut avoir des conséquences plus que néfastes, sur le plan personnel, professionnel, social, etc. Lorsque les corps sont enfermés, lorsque la contention continue d’exister, lorsque les esprits sont traumatisés, on ne peut plus arguer que l’on serait simplement dans le domaine du soin ou de la protection : on est dans celui de la domination. Lorsque tous les aspects de la vie des neurodivergent.e.s sont déterminés par cette domination, ce rapport de force, il importe d’en faire un lutte de premier plan.

 

 

 

Bibliographie.

 

Beneyto, M. G. & Pérez, A. M., & Rojo, V. I. (2018). Abolir la coercition dans les services de santé mentale, Zinzinzine, https://www.zinzinzine.net/abolir-la-coercition-en-sante-mentale.html

Canguilhem, G. (2013). Le normal et le pathologique, PUF, Paris.

Charissa, E. (2016). La perspective d’oppression et les problèmes des discours sur la « santé mentale » et la stigmatisation, Zinzinzine, https://www.zinzinzine.net/la-perspective-d-oppression.html

Comme des fous. Espérance de vie, https://commedesfous.com/esperance-de-vie/

Foucault, M. (1961). Histoire de la folie, 10/18, Paris.

Leboyer (M.) & Llorca (P.-M.). Psychiatrie : l’état d’urgence, Pluriel, 2018.

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